Module 1 - L’univers, les acteurs et le calendrier
Ce premier module de trois séquences dresse un tableau des acteurs publics et privés du secteur de l’édition scolaire en Afrique subsaharienne et des procédures d’attribution des marchés et de conception des projets qui y ont cours. Il présente des schémas de synthèse du calendrier des tâches de la publication d’un manuel, ainsi que des différents intervenants.
Il répond particulièrement aux questions suivantes :
Quel est le point de départ de la publication d’un manuel ?
Quelles sont les procédures actuelles qui organisent la publication de manuels ?
Quelles différences y a-t-il entre éditer un manuel et éditer un autre type de livre ?
Qui intervient dans la publication d’un manuel et quand ?
Entre l’arrivée du nouveau programme (établi par le ministère de l’Éducation nationale) et la livraison des manuels dans les classes ou dans les points de vente, on peut distinguer quatre différentes étapes.
La conception
Un nouveau programme est sorti. Il faut alors :
concevoir le projet éditorial de manuel.
former les équipes.
calculer le coût du projet, en faisant un compte d’exploitation prévisionnel.
s’assurer de disposer des ressources suffisantes ou rechercher des financements
établir les divers contrats et demander des devis (avec les auteurs, avec les prestataires, etc.).
tester le concept (le projet) du manuel et en tester un prototype auprès de professeurs ou même en classe.
Parfois, le manuel est réalisé dans le cadre d’un appel d’offres ; il est alors nécessaire de constituer un dossier pour soumissionner. Celui-ci comprend une présentation détaillée de l’ouvrage, avec un chapitre servant d’exemple. Voir pour cela la fiche pratique intitulée Comment répondre à un appel d’offres en scolaire ?
Le suivi éditorial
Les équipes constituées se mettent au travail avec les documents élaborés au cours de la conception du manuel, notamment la charte éditoriale, ou cahier des charges.
Lorsque les auteurs ont rédigé leur manuscrit, celui-ci passe par de multiples transformations avant de devenir le contenu final du manuel.
En parallèle, il faut préparer la fabrication (choix du papier, de l’imprimeur) et la commercialisation (préparation des listes des établissements et de documents commerciaux).
L’impression
C’est la partie industrielle de la publication d’un manuel.
Quand c’est possible, il est préférable que le responsable d’édition aille suivre chez l’imprimeur le calage, c’est-à-dire les divers essais de réglages (notamment de proportion de couleurs) sur les machines.
La vente
La commercialisation recouvre plusieurs activités : la promotion, la présentation des ouvrages par des délégués pédagogiques dans les établissements ou par des représentants dans les librairies et la prise de commandes (l’ensemble s’appelle la diffusion), la distribution.
Interventions nécessaires pour la publication d’un manuel scolaire
Le calendrier idéal pour accomplir l’ensemble de ces tâches est de quatorze mois (voir le détail du calendrier présenté dans le graphique ci-dessous). En pratique, l’éditeur ne dispose jamais d’autant de temps, car il faut que les livres soient dans les classes à la rentrée scolaire. On peut même parfois être obligé de faire l’ensemble du travail en cinq mois ! Autant dire qu’une préparation en amont de la réalisation du manuel, avant même d’avoir le programme ou l’appel d’offres, est essentielle. Le graphique suivant liste, étape après étape, les interventions, secteur par secteur, qui sont nécessaires pour livrer un manuel scolaire dans les classes. Pour une liste complète des différents intervenants, voir le schéma de la séquence précédente (séquence 2).
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Les intervenants sont les mêmes que pour d’autres publications, mais sont plus nombreux. Pour publier un manuel scolaire, on fait appel en effet à beaucoup de métiers différents.
L’éditeur - qu’il soit le directeur de la maison d’édition ou le responsable éditorial, voire les deux à la fois - est le chef d’orchestre de la publication. Toutes les décisions importantes relèvent de sa responsabilité.
En dessous de lui, l’assistant éditorial est celui qui met en œuvre et qui assure le suivi du projet ; il supervise le travail des personnes qui interviennent sur le contenu et la forme de l’ouvrage (auteurs, maquettiste, correcteur, dessinateur, etc.). Le travail de l’assistant éditorial s’appuie sur la charte éditoriale et la charte graphique qui auront été définies au préalable.
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Sous chacun des services figurent les intervenants extérieurs (fournisseurs, prestataires, free lance, etc.) avec lesquels travaillent ces services. Les cartouches plus clairs représentent des intervenants qui ne sont pas systématiquement présents dans l’équipe d’un manuel.
Il arrive régulièrement qu’une même personne remplisse plusieurs fonctions, c’est même la règle dans les petites structures éditoriales.
Nota bene : les différentes activités que recouvre la publication d’un ouvrage et leur répartition par intervenant sont détaillées dans les modules correspondants.
L’Éducation nationale rédige un curriculum dans lequel figure un programme d’étude. Le programme est un document établi par des universitaires pour une discipline, pour une ou plusieurs classes. Il liste les sujets à étudier, les objectifs à atteindre en termes de savoir et de savoir-faire ainsi que la manière d’enseigner - c’est-à-dire la pédagogie à adopter. Il définit également un volume horaire, la fréquence et le mode d’évaluation des acquis. C’est en fait un document qui décrit en détail tout ce qui doit se passer en cours : de quoi parle la classe, quelles sont ses activités, pendant combien de temps. En Afrique, les équipes ministérielles ont été généralement guidées par des universitaires étrangers pour rédiger les programmes (des équipes canadiennes par exemple dans certains pays).
Depuis 1995, les pays d’Afrique subsaharienne réforment leurs systèmes éducatifs ; les curricula passent peu à peu d’une pédagogie traditionnelle d’acquisition de savoirs académiques à une approche par compétences (APC), qui privilégie l’apprentissage de capacités et de savoir-être (« life skills »), visant à une meilleure insertion des élèves dans la vie économique. Cette nouvelle pédagogie, d’origine canadienne, demande une participation active des élèves.
Depuis quelques années, l’APC est adaptée et se met en place une pédagogie de l’intégration, ou approche par compétences de base : les programmes définissent « des familles de situations » à partir desquelles l’enseignement participatif est assuré. Cette pédagogie comprend une activité d’intégration de l’apprentissage (exercice reprenant ce qui a été fait).
Les procédures actuelles d’approvisionnement en manuels scolaires
Aujourd’hui, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les manuels scolaires sont de plus en plus fréquemment édités, imprimés et distribués par des éditeurs privés. L’État élabore et diffuse un programme et lance un appel d’offres pour commander des manuels dans la cadre de la gratuité de l’enseignement fondamental (primaire, sixième et cinquième). Il instaure par ailleurs une politique d’agréments, en fin de collège et au lycée, pour autoriser la commercialisation d’ouvrages figurant sur une liste de livres au programme.
Les modalités des agréments et des appels d’offres varient selon les pays ; dans certains cas le contenu des manuels est conçu par une équipe de rédacteurs du ministère (comme en Côte d’Ivoire), dans d’autres deux ou trois manuels sont agréés après avoir été rédigés, édités et imprimés (comme au Cameroun). Dans d’autres cas enfin, l’État peut acquérir ou inscrire sur sa liste des manuels scolaires d’autres pays.
Dans tous les cas de figure, il est évident qu’un éditeur ayant une tradition d’édition, un réseau de distribution, et une puissance financière de dimension internationale a bien souvent la faveur des commandes publiques ; cela explique la présence des grands groupes éditoriaux français et québécois sur ce marché en Afrique francophone par exemple. Néanmoins, de nombreux États africains réfléchissent aujourd’hui à favoriser, dans leurs appels d’offre, des éditeurs locaux. Pour l’éditeur désireux de s’engager dans cette production rémunératrice, un bon point de départ peut être la publication d’ouvrages parascolaires. C’est une entrée intéressante dans ce secteur : elle donne une expérience et rend crédible la soumission (participation à un appel d’offres).
L’univers du scolaire : une communication étroite entre le secteur public et le secteur privé
Historiquement, les manuels scolaires ont été produits sous le contrôle de l’État dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Dans les années 1960-1970, les ministères de l’Éducation nationale ont élaboré des programmes scolaires mais ont aussi commencé à produire eux-mêmes des contenus. Parfois, ils ont même dirigé l’édition, puis l’impression et la distribution des ouvrages, en constituant dans certains pays de véritables centres de production de manuels scolaires. Quelquefois, les ministères ont choisi de déléguer ce travail à un éditeur étranger - français ou québécois en Afrique subsaharienne. Comme il n’était pas possible, pour des questions de ressources humaines et de moyens financiers, de prendre en charge l’approvisionnement en manuels scolaires pour toutes les matières et toutes les classes, l’achat d’ouvrages d’éditeurs étrangers a été largement pratiqué.
Dans les années 1990, une vague d’ajustements structurels a conduit à la privatisation des organes de production de manuels scolaires - jusqu’ici contrôlés par l’État. En Côte-d’Ivoire par exemple, le Centre d’édition et de diffusion africain a été privatisé en 1992. Cela allait de pair avec la fin des monopoles sur les marchés scolaires des structures de production, qu’elles soient publiques ou privées. L’Éducation nationale a continué à rédiger des programmes, et parfois également le contenu des manuels - l’édition et l’impression étant alors prises en charge par des éditeurs privés, en général étrangers. L’Éducation nationale a développé une politique d’agrément, c’est-à-dire qu’elle a choisi les livres qui pouvaient figurer sur les listes d’ouvrages au programme. La distribution des manuels pouvaient parfois être assurée par l’État, si ce dernier achetait des ouvrages à un éditeur, dans une procédure d’appels d’offres.
En parallèle, en 2000, à Dakar, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont été fixés par la communauté internationale ; deux concernaient l’éducation : il s’agissait « d’universaliser » l’enseignement primaire et de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, en particulier par le biais de l’éducation. Les OMD ont servi de cadre à des programmes d’aide internationale visant la mise en place d’un enseignement fondamental dans tous les pays.
Éditer, c’est créer : le manuel scolaire, « miroir » du programme scolaire
Le manuel scolaire est une interprétation du programme en une forme pédagogique utilisable en classe : là où le programme prescrit d’exercer les élèves à une activité manuelle faisant appel à des outils comme la règle et le compas, le manuel va proposer une activité de construction d’un bateau en papier ; là où le programme demande de vérifier les acquis des élèves, le manuel présente un exercice d’intégration, etc.
Le manuel est donc étroitement lié au programme, mais il est très différent de lui : c’est une création à partir du programme, le résultat d’un travail de conception qui est l’édition proprement dite du manuel.
L’édition d’un manuel recouvre différentes activités : concevoir un projet et le tester ; en analyser les coûts et prévoir un financement ; sélectionner une équipe d’auteurs et de professionnels (graphiste, imprimeur…) ; valider les maquettes ; établir chartes (ou cahiers des charge) et planning ; établir des contrats ; respecter un budget ; assurer le suivi éditorial.
Le suivi éditorial recouvre les activités de : réception et adaptation de manuscrits ; la sélection des images ; la préparation de copies ; la relecture et la correction d’épreuves ; la relation avec les différents intervenants (maquettistes, auteurs, correcteurs, etc.).
La publication recouvre le fait d’éditer, puis de (faire) imprimer, de promouvoir, de diffuser et de distribuer un ouvrage. Le terme « édition » est là encore fréquemment employé pour désigner la publication. Quoi qu’il en soit, être éditeur, c’est assumer le risque éditorial (et financier) qui va de pair avec toute publication.
Dans le cas d’un manuel scolaire, l’édition se fait en conformité avec le programme et en veillant attentivement à l’utilisation qui sera faite de l’ouvrage. Ainsi, deux étapes spécifiques sont à prendre en compte. L’étape de discussion avec le ministère : elle intervient soit au cours de l’édition pour valider les contenus au fur et à mesure (dans le cas d’une commande de l’État par un appel d’offres), soit à la fin de l’édition, sous la forme d’une demande d’agrément, une fois le contenu édité (mais avant l’impression). Parfois, une demande d’agrément peut même concerner des livres existants et déjà en circulation. L’étape du test du manuel en classe ou auprès d’enseignants : que ce soit le ministère qui le demande à la suite d’une commande de manuels qu’il a passée ou que ce soit un choix de l’éditeur, il est nécessaire de tester en classe le manuel au cours de son édition, ou au minimum d’en montrer quelques éléments (un sommaire, un chapitre…) à des professeurs pour en valider la forme et la pédagogie.
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La diffusion est l’activité commerciale qui consiste à annoncer l’existence de l’ouvrage aux détaillants et à prendre leurs commandes ; elle se matérialise par la tournée des représentants dans les points de vente. La distribution est l’acheminement proprement dit des ouvrages aux clients, c’est la circulation physique du livre. Les deux sont également spécifiques dans le secteur scolaire.
Les modes d’approvisionnement diffèrent selon qu’il s’agit d’un appel d’offres, d’un agrément ou d’une libéralisation totale du marché. Si l’État a passé commande d’un certain nombre de manuels par appel d’offres, il demande le plus souvent qu’ils soient livrés dans les écoles ; l’éditeur se charge donc lui-même de la distribution. Dans ces cas-là, il n’y a pas à proprement parler de diffusion.
Si l’État adopte une politique d’agrément, il choisit simplement les livres parmi ceux qui lui sont présentés par les éditeurs et en fait figurer un certain nombre sur la liste des ouvrages au programme. C’est aux élèves et parents d’élèves d’aller les acheter et la diffusion est alors faite auprès des différents points de vente du livre. Si un système libéral et décentralisé a été mis en place (politique d’achat des ouvrages par les collectivités), les éditeurs présentent leurs manuels aux établissements et reçoivent les commandes de ceux-ci et non plus de l’État central. Là non plus, il n’y a pas de diffusion à proprement parler, mais un travail de présentation des manuels auprès des établissements scolaires assuré par des « délégués pédagogiques ». On peut observer des systèmes qui mixent ces possibilités : politique d’agrément et achat centralisé par exemple.